Si tu ne sais pas : APPRENDS / Si tu n'y arrives pas : RECOMMENCE / Si c'est impossible ... FAIS LE ! ... ( Image dixit)

[Polar] Carton Rouge (Terminé)




Un bruit sec le fit sursauter … la porte d'entrée venait d'être ouverte. Ça n'était pas prévu, l'appartement devait être inoccupé. Heureusement il n'avait allumé aucune lampe, la lueur de la lune qui filtrait à travers la fenêtre de la chambre suffisait à guider ses gestes.
Pris au piège, il devait se cacher au plus vite.
Le placard ? Non. Les immenses rideaux en velours épais - et d'un goût douteux - lui semblèrent plus sécurisants. Il se saisit de la statue de vierge posée sur la table de chevet et se dissimula derrière eux, retenant son souffle.
Dans les minutes qui suivirent, la lumière d'une torche balaya l'appartement. Quelqu'un était là, et comme lui, explorait méthodiquement les pièces. Un autre cambrioleur ? Impensable. L'appartement était cossu et bien situé mais de là à attirer le même jour deux monte-en-l'air. Denis entendit une porte s'ouvrir puis le coulissement des placards et le bruit des tiroirs ouverts un à un. Le mystérieux visiteur cherchait quelque chose.
Un contact soudain sur le bas de son pantalon lui fit dresser les poils sur les bras.
Dans le noir, un chat se frottait amoureusement à lui. Il sourit malgré la précarité de la situation : "Pas le moment de jouer avec toi." Il le repoussa doucement de la pointe du pied, le chat partit séduire le nouveau venu tout proche en ronronnant.
Quoi que cherchait l'autre, peut lui importait, il devait simplement rester à couvert jusqu'à son départ. Lui avait déjà terminé, les immenses poches de son pantalon contenaient les bijoux raflés et d'autres babioles qui pouvaient se monnayer. La situation s'éternisait, les pas allaient et venaient, accompagnés de soupirs et de mots inintelligibles.

Denis était décorateur-étalagiste. A trente ans, sportif, joli garçon et toujours célibataire, il gagnait modestement sa vie en gérant les nombreuses vitrines d'un grand magasin parisien, mais se faisait plaisir avec quelques extras. Sa magnifique Triumph TR4 rouge à laquelle aucune fille ne résistait attisait les jalousies. Pour répondre aux questions de ses collègues, il la justifiait par un mystérieux héritage reçu d'un parent éloigné. De temps en temps -quand il avait une bonne information- il se permettait une visite nocturne chez un particulier potentiellement aisé. Ensuite, par sécurité, il mettait au frais un mois son cambriolage avant d'aller voir son fourgue, un antiquaire du Village Saint Paul dans le Marais.
Deux jours plus tôt, alors qu'il terminait une vitrine du magasin, il avait entendu une conversation de l'autre côté de la cloison. Une fille d'une vingtaine d'années racontait à son amie qu'elle devait aller nourrir le chat de sa grand-mère récemment hospitalisée. Elle termina la conversation par "… et d'ailleurs il faut que j'y aille."
Un appartement vide s'avérait plus facile à visiter, il suivit la jeune fille jusque dans le quartier bourgeois où résidait sa grand-mère. Des voitures haut de gamme occupaient les places dans les rues entretenues où pas une haie ne dépassait. Dissimulé sur le trottoir d'en face, il avait allumé une cigarette et surveillait la façade. Au deuxième étage, il la vit tirer les rideaux puis ouvrir la fenêtre, il savait à présent où chercher. Il observait l'animation.
"Pas beaucoup de monde dans la rue en plein jour, ça devrait être encore plus calme la nuit." Cela faisait vingt minutes qu'elle était entrée et qu'il observait les environs quand elle ressortit. Un coup d'œil lui appris que la fenêtre et le rideau étaient bien refermés.

Philippe vociférait, dans une rage folle depuis un quart d'heure.
Julie, sa jeune maîtresse de vingt ans qu'il voulait quitter, menaçait d'aller tout raconter à sa femme et lui montrer pour preuve le médaillon qu'il lui avait offert.
Lorsqu'elle était arrivée seule à Paris, elle cherchait une location, lui gérait les trois agences immobilières de sa femme, plus âgée que lui mais financièrement tellement attirante.
Séduit instantanément, il lui avait proposé un studio libre, sans caution et pas cher, une perle rare à Paris. Il s'imaginait avoir rencontré l'Amour de sa Vie et peu après le début de leur liaison, lui avait fait miroiter son possible divorce. Maintenant, au pied du mur, il n'en était pas question une seconde. Devant la menace planant comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, il faillit la gifler mais se ravisa, craignant qu'elle n'aille porter plainte par vengeance. Il ne pouvait envisager de tout perdre pour une passade de quelques mois. La seule solution était de récupérer le médaillon pour éviter que sa femme ne soit mise au courant. Inutile de continuer cet affrontement verbal, cette dispute lui avait au moins appris où se trouvait le médaillon.
Sans un mot, il jeta le trousseau sur la table basse et sortit en claquant la porte si fort qu'un cadre tomba et se brisa au sol. Julie ramassa les morceaux et jeta le tout dans le vide-ordure. "Tant mieux, ce paysage me donnait le bourdon." Dix minutes plus tard, elle attrapa son sac, une boîte de pâté pour chat et sortit.

Il était minuit, il faisait nuit noire, et sa femme était partie la veille pour une semaine seule en thalasso. Philippe avait prévu de rendre une visite à l'appartement de la grand-mère de Julie. Il se souvenait de l'adresse, l'y ayant accompagnée une fois.
Le hall s'alluma automatiquement quand il pénétra dans l'immeuble et monta les deux étages en silence. Il colla son oreille à la lourde porte palière : aucun bruit. L'antique serrure n'opposa pas de résistance, il se glissa dans l'appartement une torche à la main.
Sur sa droite un couloir, à gauche une pièce fermée. Un chat lui partit dans les pieds lorsqu'il en ouvrit la porte : la cuisine. Explorer les quelques rangements ne lui pris que deux minutes. Il fallait trouver la chambre, où généralement, les particuliers gardent leurs bijoux. Dans le couloir il y avait deux penderies contenant chaussures, vêtements et deux valises vides. Plus loin la salle de bains qu'il eût tôt fait de visiter, une chambre visiblement inoccupée puis une seconde, plus grande et mieux meublée.
La coiffeuse était là, éclairée par un rai de lune. Il braqua sa lampe et distingua un coffret à bijoux. Le couvercle portait des traces de doigts dans la fine couche de poussière le recouvrant. Il y était presque. Il ouvrit la boîte : vide ! Il tira les tiroirs un à un : vides également. "La grand-mère aurait-elle mis ses bijoux dans un coffre à la banque ?"
Il en était là de ses questions et maugréait quand il entendit une conversation à l'extérieur.
Il éteignit sa torche et se figea. Les voisins de palier rentraient chez eux bruyamment … et ce chat qui revenait se frotter à lui en ronronnant. Il ne voyait pas où chercher plus longtemps. "Pas la peine d'insister, autant retrouver une aiguille dans un tas de foin."
Le chat ronronnait toujours et se frottait maintenant au rideau. Il approcha de la fenêtre, regarda dehors et sentit soudain une présence sur sa gauche. Prestement il écarta le rideau.
Le lourd pied de marbre de la vierge l'atteignit à la tempe. Sa vision se teinta de rouge, ses jambes se dérobèrent sous lui, il n'eut pas le temps de voir son meurtrier et glissa au sol.
Denis ne pensait pas avoir frappé si fort, mais l'homme étendu à ses pieds ne bougeait plus.
Il se précipita vers la porte et sortit sans bruit. Le lendemain matin, à la première heure, il s'empressa de cacher son butin en lieu sûr et repris son travail comme à l'accoutumé.

Les journaux étalèrent la photo du corps découvert par Julie en première page. Sa relation ne mit pas longtemps à être connue, elle fut logiquement soupçonnée. Ne jugeant pas nécessaire de parler de sa dispute avec son amant, elle déclara simplement qu'elle désirait rompre mais que lui ne voulait pas. Inutile de compliquer les choses aux yeux de la police.
Par bonheur, sa soirée passée à fêter l'anniversaire d'une amie lui fournit un solide alibi, sans pour autant expliquer le meurtre et la disparition des bijoux chez sa grand-mère.
Beaucoup de questions pour Antoine Lucas, inspecteur chargé de l'enquête. La cinquantaine, les cheveux rares mais soignés, il se demandait constamment si se raser le crâne à la Bruce Willis ne le rajeunirait pas un peu. Pas d'empreinte, pas de mobile apparent à part le vol des bijoux, aucune trace de lutte. Juste un corps sans vie qui avait reçu un sale coup à la tempe et la vierge tachée de sang aux pieds de la victime. L'interrogatoire des voisins ne donnant aucun résultat, il faudrait attendre de voir réapparaître les bijoux sur le marché pour avancer.

Denis avait garé la Triumph dans le parking en sous-sol et montait se changer dans les vestiaires quand son pote Marco l'apostropha.
- Salut Den'. Le Boss veut te voir, urgent qu'il a dit. Il prit rapidement sa combinaison, condamna son placard et monta voir le Boss en marmonnant. Le Boss avait un sale caractère et tous savaient qu'il n'aimait pas attendre. Allergique - entre autres - à l'informatique, il était plongé dans un antique cahier de comptes et ne leva même pas la tête pour saluer Denis.
- Salut patron.
- Ah, Denis. Les nouveaux mannequins ont été livrés, faut les déballer rapidement.
- Quels nouveaux mannequins ?
- Ceux qui remplacent les vieux. Ordre de la Direction.
- Et on fait quoi des anciens ?
- Ils sont déjà partis. Un camion les a enlevés ce matin. Ses poils se hérissèrent instantanément sur ses avants bras.
- Non ! C'est pas possible !
- Qu'est-ce qui n'est pas possible ? Allez, bougez-vous mon vieux. Faites-vous aider si besoin, je les veux demain dans les vitrines. Le ciel lui tombait sur la tête, en douche froide.
- Où est-ce qu'ils les ont emmenés ?
- Qui ça ? demanda le Boss déjà passé à autre chose.
- Les mannequins.
- A la déchèterie, où vouliez-vous les mettre ? Il sortit en trombe du bureau.
"C'est bien la première fois qu'il se met aussi vite au travail !" pensa le Boss.
Denis courut récupérer sa voiture et fila vers la déchèterie. Il avait roulé rapidement mais sans prendre de risque jusqu'au périphérique. Inutile de se faire arrêter maintenant. Le trafic était dense, comme chaque matin. Il stoppa dans la file et prenant son mal en patience, alluma la radio. C'était l'heure des infos sur France-Bleu."… le cambriolage a sans doute mal tourné. Le corps sans vie, découvert par la petite fille de la propriétaire venue nourrir le chat, est celui d'un agent immobilier connu de la capitale. Il aurait été mortellement agressé à l'aide d'une lourde statuette en marbre retrouvée près de lui. L'enquête en cours devrait déterminer les circonstances de son décès … Et voici maintenant l'horoscope de Martin …" Il éteignit le poste. La file redémarrait, il fallait retrouver ces mannequins coûte que coûte.

Enfoncé dans le canapé du salon richement décoré, Antoine terminait de l'interroger. Grande et belle femme, habillée avec goût, elle n'avait pas l'air très affectée par le décès de son époux et buvait son café posément, sans manifester la moindre émotion ni trace de tristesse, comme une fatalité. Face à elle depuis une bonne demi-heure, il posait question sur question, tâchant d'en apprendre le plus possible sur l'homme mais aussi sur le couple. Si elle était au courant de sa liaison, elle n'en avait rien laissé paraître. Il souhaitait tout de même s'en assurer avant la fin de l'entretien, on a parfois des surprises avec ceux qui paraissent les plus unis. Il observait néanmoins quelques traces d'énervement, visiblement cet interrogatoire commençait à l'agacer. Voyant cela, Antoine s'apprêtait à conclure.
- Y aurait-il quelqu'un qui en voulait à votre mari, avait-il des ennemis ? Ses sourcils se soulevèrent.
- Des ennemis ? Pourquoi diable en aurait-il eu ?
- Dans ce métier … tenta-t-il d'argumenter sans conviction. Elle le coupa net.
- Non, je ne vois aucune raison pour qu'il ait des ennemis.
- Une dernière question je vous prie, votre couple vivait une période … difficile ? Il se maudit d'avoir posé la question aussi directement.
- Pas que je sache. répondit-elle sèchement en lui lançant un regard hautain.
Ne voyant plus rien à ajouter, il prit poliment congé, il pourrait toujours revenir si nécessaire.
- Bien, je vous remercie infiniment pour votre patience dans de telles circonstances. Vous avez ma carte, si quelque chose vous revient en mémoire, vous pouvez m'appeler. De mon côté, si j'ai du nouveau, vous en serez immédiatement informée. Toutes mes condoléances. Sans avoir avancé son enquête d'un iota il remonta dans sa voiture banalisée. Une demi-heure de trajet pour ne rien apprendre de plus sur la victime, c'était décourageant. Le travail d'inspecteur n'avait pas que de bons côtés. Les films et séries télévisées les décrivaient comme des demi-héros ayant réponse à tout alors que la réalité s'avérait plus banale. Antoine n'avait pas l'impression que ce travail était valorisant et commençait à se lasser de cette monotonie. Il rentrait à son bureau sans enthousiasme. "La routine quoi..."


Denis se gara dans la cour en terre battue et traversa l'allée bourbeuse vers le bureau de la déchèterie. Sa Triumph avait impressionné le responsable dans le petit bâtiment crasseux, il se demandait ce qu'un bourgeois venait faire chez lui. Denis cogna au carreau et entra.
- Bonjour, un de vos chauffeurs vient d'emporter tous les vieux mannequins de notre magasin. Je suis responsable de la décoration, vous étiez censés nous en laisser un pour nos vitrines vintage. Le type le regardait dubitatif.
- "Vintage" ? Visiblement il fallait lui expliquer.
- Oui, quand on fait des vitrines avec des objets anciens, il nous faut un vieux mannequin. Ça nous aide à recréer l'ambiance de l'époque.
- Et alors ? "Pas futé le garçon." se dit-il.
- Dites-moi où vous les avez mis, je dois en récupérer un. Il lui tendit un billet que son interlocuteur empocha sans sourciller. Bizarrement ça lui avait subitement décoincé le bulbe.
- Ils sont sous le hangar, adressez-vous au gars qui est là-bas et prenez celui que vous voulez. dit-il en lui montrant le fond de l'entrepôt. Denis ne se le fit pas dire deux fois.
- Merci. Il sortit, essayant d'éviter les flaques grasses jusqu'au hangar. Il s'attendait à voir les mannequins jetés n'importe comment, à sa grande surprise, ils étaient rangés à la façon des soldats de l'armée chinoise retrouvés intacts après deux mille trois cent ans sous terre. Un miracle !
Un ouvrier en combinaison crasseuse, une cigarette éteinte aux lèvres s'affairait à les recouvrir d'une bâche en plastique transparente. Denis lui désigna le tas bien aligné.
- Excusez-moi, c'est votre patron qui m'envoie, je dois en récupérer un.
- Ouais ? Allez-y alors, prenez celui que vous voulez. Il en cherchait un bien particulier. Il monta sur une pile de palettes pour mieux les distinguer. Vous faites pas mal hein, je veux pas d'ennuis.
- Il y en avait un qui n'était pas abîmé, une femme aux cheveux longs, habillée d'une robe noire à manches courtes avec un bracelet.
- Je l'ai vue oui. Mignonne la nana. Elle doit être là, vers la droite. Il la vit aussitôt, debout, coincée entre d'autres en plus ou moins bon état.
- Voilà, c'est celle-là. dit-il en lui montrant le mannequin. Il descendit et avec son aide en déplaça quelques un avant de le saisir celui qu'il voulait.
Ses yeux brillaient tellement que l'ouvrier hasarda une question accompagnée d'un rire gras.
- Z'êtes amoureux ou quoi ? Non, il n'était pas amoureux, c'était bien pire !
- Non, mais c'est ma préférée, merci. Répondit-il complice. Et un conseil, ne fumez pas près d'eux, ça s'enflamme très facilement. lui lança-t-il avec un clin d'œil avant d'embarquer le mannequin sous le bras. Il retourna à sa voiture, tentant désespérément de ne pas s'enfoncer dans la gadoue. Il l'installa à la place du passager et quitta l'entrepôt rassuré, il fallait mettre ce mannequin à l'abri, rapidement.

Antoine roulait vers son bureau, songeur. Pour faire avancer son affaire, il envisageait une possible confrontation entre la veuve et la jeune fille quand, au carrefour cent mètres devant lui, une décapotable apparut sur sa droite à très vive allure. Il eut le temps d'apercevoir le camion de livraison rouge qui arrivait en face et dont le chauffeur, qui vit la voiture au dernier moment, réalisa trop tard qu'ils ne passeraient ni l'un ni l'autre. La bouche grande ouverte, les yeux exorbités, il bloqua les roues, debout sur ses freins.
Par réflexe, Antoine stoppa brutalement, pressentant le choc inévitable.
Sur sa lancée, le fourgon continua sa trajectoire, les pneus crissant et laissant une grosse trace de gomme sur l'asphalte. Dans un bruit de tôles froissées, le gros pare-chocs percuta l'aile avant de la voiture dont le pare-brise sortit de sa baie et explosa sur la chaussée. Sans ralentir la Triumph fut déviée vers une antique colonne Morris presque totalement dissimulée sous une quantité incroyable d'affiches et de tags. Visiblement le conducteur n'avait même pas ralenti.
Le second choc fut beaucoup plus violent, la colonne stoppa net la Triumph. Un corps désarticulé jaillit de la voiture et décrivit une jolie courbe avant d'atterrir quelques mètres plus loin sur le trottoir, aux pieds d'une femme qui avait lâché ses sacs de provisions et s'était mise à hurler de façon hystérique, pensant que la passagère avait été éjectée.
De son côté, le fourgon terminait lentement sa course contre le trottoir, devant la Triumph. Antoine plaqua aussitôt le gyrophare sur le toit et vint se garer à côté de la voiture dans laquelle le conducteur hébété n'avait toujours pas bougé. Il restait assis, tétanisé au volant tandis que le chauffeur du fourgon venait vers lui. Antoine courut vers le trottoir et fut rassuré de voir que le corps inanimé était celui d'un mannequin. Il s'approcha de la portière côté passager. Une large ouverture par laquelle le sang coulait abondamment barrait le front du conducteur, comme un début de scalp. Il ne manifestait aucune réaction, son visage et le haut de sa chemise disparaissaient sous le liquide rouge et visqueux.
- Monsieur, est-ce que ça va ? cria le chauffeur blanc comme un cadavre. Parlez, dites n'importe quoi mais parlez-moi. Il était bouleversé et agitait vivement une main devant les yeux du blessé, immobile comme une statue de marbre depuis l'impact final. La bouche ouverte, il gardait les yeux fixés sur un point imaginaire droit devant lui, serrant le volant au point d'avoir les phalanges totalement blanches. Antoine fit le tour du véhicule, montra son badge au chauffeur qui s'écarta et posa une main sur l'épaule du blessé.
- Monsieur, vous m'entendez ? Monsieur ? Le patron du bar venait à la rescousse avec un linge humide qu'il plaqua sur le front ouvert.
- Ça va arrêter le saignement au moins. J'ai appelé une ambulance. dit-il en s'excusant presque de lui porter assistance. Denis ne faisait aucun mouvement. La scène s'était passée depuis deux minutes qui paraissaient une éternité au livreur et il n'avait toujours pas bougé. Antoine fit une nouvelle tentative.
- Monsieur, vous m'entendez ? Fermez les yeux, faites un geste. Denis lâcha enfin le volant sur lequel il s'était crispé et balbutia ses premières syllabes.
- Tout va bien. Je vais bien. Rien de cassé. Ne pouvant voir le sang qui couvrait son visage, il ouvrit lentement la porte de la voiture. Quand il tenta de se redresser pour en sortir, sa jambe gauche se déroba et il retomba assis sur le siège. Sa tête bascula sur le dossier les yeux révulsés, immobile, il était en état de choc.
Le chauffeur du fourgon avait repris des couleurs et réalisé qu'il se trouvait en présence d'un membre de la police en civil. Il s'adressa à lui.
-
J'avais la priorité inspecteur. Vous avez vu l'accident hein ? Il n'a pas ralenti. Il commençait maintenant à trembler. Antoine lui mis une main sur l'épaule et tenta de le rassurer.
- T'inquiète pas mon gars, j'étais là, j'ai vu comment ça s'est produit. Calmes toi, tu n'y es pour rien, il arrivait trop vite. Le patron du bar revenait lui apportant un verre d'alcool fort et une couverture, il tenait sous son bras un corps sans tête.
La sirène de l'ambulance se fit entendre. Antoine aida les ambulanciers qui se chargèrent du blessé tandis qu'au milieu de l'attroupement qui s'était créé, la dame sur le trottoir rapportait une tête de mannequin –dramatiquement séparée du corps- et la posait délicatement sur la banquette arrière de sa voiture. Après avoir donné brièvement sa version de l'accident et son numéro de portable à la police qui venait d'arriver, il rassura une dernière fois le chauffeur avant de prendre congé.
Ce n'est qu'une fois arrivé au central qu'il découvrit la tête. Interloqué, il la prit délicatement et alla la poser sur son bureau avant de s'asseoir face à elle.
- Sacrée journée ma belle. dit-il souriant. Se rendant compte qu'il parlait à une tête en plastique, il jeta un regard circulaire afin de voir si quelqu'un avait surpris son monologue puis l'attrapa par les cheveux pour la ranger dans un profond tiroir de son bureau quand il entendit un bruit à l'intérieur de la tête. "Elle en a pris un sacré coup elle aussi." pensa-t-il.
Il la secoua et entendit à nouveau un bruit inhabituel à l'intérieur. Regardant avec plus d'attention, il s'aperçut que la base du cou était amovible. Il dévissait le bouchon quand un sac en tissu tomba dans le tiroir ouvert avec un bruit métallique.
Sur son bureau il ouvrit le sac qui laissa apparaître une grosse poignée de bijoux divers.
Une montre, trois colliers –dont un de perles noires- quelques bagues, une magnifique rivière de diamants -qui devait valoir une fortune à elle seule- des boucles d'oreilles et au bout d'une fine chaîne ouvragée, un petit médaillon ancien ciselé. C'était le seul bijou en argent.
Curieux, il le prit en main et l'ouvrit. Il ressentit comme un électrochoc.